En partant ce jour là, je me doutais bien que cette sortie n'aurait rien de la petite balade dominicale à laquelle mes pitchouns sont habitués. C'est donc à grand renfort de "allez les garçons, venez, on va voir la tempête" et autres arguments de type culinaire… ( si tant est que des gaufres au Nutella soient à classer dans cette catégorie), que je réussis à piquer leur curiosité. Tempête et méditerranée s'apparentant plus à un pléonasme qu'à un phénomène climatique, la définition de "gros coup d'Est", couramment utilisé par les patrons pêcheurs du coin, serait plus à propos.
Systématiquement, ce genre d'épisode météorologique se produit quand je ne suis pas disponible. En général quand je suis au boulot. Là, nous sommes Dimanche, il est donc hors de question que je rate ça. Direction la côte bleue.
Sur la longue voie rapide nous menant vers la Couronne, les rafales maltraitent le Scénic de leurs assauts répétitifs. A l'arrières, les deux pitchouns ne présentent pas le moindre signe d'inquiétude, leur attention étant totalement dédiée à la localisation des chèvres du Rove sur le bord de la route. Seul le vieux parc d'attractions jouxtant la départementale extirpe de leur bouche des cris d'émerveillement immanquablement suivis de sollicitations et questionnements en tout genre. Cette fois-ci ne faisant pas exception à la règle, je devrais une fois de plus promettre dans les plus brefs délais une visite dans ce bel établissement. Je suis soudain rempli de joie à l'idée de m'y rendre. Un parc d'attractions à la pointe de l'innovation n'ayant absolument rien à envier à ses concurrents américains… Pitié, faites que les ceintures de sécurité tiennent encore un peu le temps d'un après-midi.
Dès notre arrivée les bourrasques donnent le ton. Les portières nous reviennent de plein fouet comme pour nous informer de leurs intentions.
Nous avons à peine fait dix mètres que nous voilà déjà luttant contre le vent, les cheveux en bataille fouettant le visage de mes deux garçons. Quant aux miens, il y a bien longtemps qu'ils ne fouettent plus rien du tout.
Traverser le parking fut en soit une petite épreuve pour les soixante et dix kilos que représentent les deux pitchouns à eux deux. Ils marchent en zigzaguant, le grand remettant le petit sur le droit chemin autant de fois que nécessaire. Sa bienveillance me surprendra toujours.
Nous avons beau rire tous les trois comme des bossus, à l'approche de la roulotte "crêpes, gaufre, chichi" je lâche un "non" froid et retentissant sans même les regarder. L'odeur est certes prometteuse mais les prix affichés me semblent un tant soit peu présomptueux. Ce qui ne m'empêchera pas lors du trajet inverse de céder à la tentation de leur faire plaisir.
- "un supplément chantilly s'il vous plait"
Au bout du parking, démarre le sentier du Lézard. Il longe la mer sur quelques centaines de mètres, nous menant tout droit vers un phare minuscule, presque ridicule. Il fera largement l'affaire pour la photo.
Tout au long du court trajet, il nous faudra bien calculer notre affaire pour ne pas se retrouver immédiatement trempés. Les vagues s'écrasent sur les rochers en propulsant des trombes d'eau dans le ciel avant de retomber sur le chemin. On accorde nos violons et à trois, entre deux vagues, nous nous élançons. A chaque fois nous évitons la sentence de peu.
Entre l'adrénaline et l'euphorie nous rions à gorge déployée. Qui sait ? L'air marin a peut être cette vertu là aussi… Ce qui est certain, c'est qu'à cet instant précis, je les vois heureux.
Je les vois vivre l'instant présent, s'amusant de tout. S'émerveiller d'un rien. Une pierre légèrement brillante fera le bonheur de maman à notre retour. Une coquille fraichement dépouillée de son hôte sera du plus bel effet sur leur bureau, mêlant l'odeur à l'esthétisme. Le malheureux crabe qui n'aura pas eu la chance de courir assez vite se verra succomber à une mort lente dans le fond d'un tupperware. Heureusement, il pourra tout de même jouir d'un cadre idyllique et profiter au mieux de ses dernières heures grâce à un décor savamment élaboré pendant de longues minutes par deux petits garçons de sept et neuf ans. Quelques algues putrides, deux ou trois pierres légèrement goudronnées recouvertes par quelques centimètres d'une eau fraîche et cristalline seront ses derniers souvenirs maritimes. Essayer de leur expliquer qu'il serait plus sage de le laisser dans son élément naturel, qu'il y sera plus heureux que dans une boite n'y changera rien. La bestiole est condamnée.
Nous restons quelques minutes à regarder la houle se fracasser contre les rochers. A chaque fois, ponctuée par des cris de satisfaction et de joie.
Je fais rapidement quelques photos et bien évidemment, ces messieurs ne manquent pas de venir se planter dans le cadre. Ils choisissent systématiquement le moment précis où une belle vague explose en plein ciel. Tenter de leur expliquer que je n'en ai pas pour longtemps, que cette belle lumière risque de disparaître en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire tombe à plat. Ils veulent tutoyer les éléments, être au plus près de l'eau pour sentir les rochers vibrer sous leurs pieds.
Nous continuons notre parcours sur le même chemin, découvrant de ci de là un endroit où se poser le temps d'un casse-croûte. Chaque spot présentant un intérêt photographique fait l'objet d'un arrêt. Au bout d'un moment, j'ai droit aux premières remontrances, l'émerveillement finissant par laisser place à la fatigue et la lassitude.
Heureusement, ils sont habitués aux expéditions de ce genre… Il y a déjà quelques années qu'ils me suivent dans mes escapades. Dormir sous la tente en pleine forêt, ramasser du bois pour alimenter le feu, observer les animaux pendant des heures sont des activités devenues familières pour eux. Ils jouent les explorateurs, fabriquent des pièges à insectes jusqu'à la nuit tombée. Le temps d'engloutir quelques saucisses grillées au bout d'une pique et les voilà repartis dans la prairie, affrontant la nuit armés de leurs bouts de bois et leurs frontales sur la tête. Froid ou pas, de jour comme de nuit, je n'ai pas le souvenir qu'ils se soient plaints une seule fois. A peine quelques inquiétudes quand, en pleine nuit, le cri d'un renard retentit dans le lointain. Je connais plus d'un adulte qui auraient pris leurs jambes à leur cou sans attendre leur reste. L'appel d'un renard est si particulier que même avec l'habitude, cela hérisse toujours les poils. Je réalise à chaque fois la chance de les avoir. Ils sont ma force, mon fil d'Ariane.
Ainsi je profite de ces moments de découvertes et de leur émerveillement avant que tout soit emporté par l'adolescence et par la vie jonchée des contraintes du monde des adultes. Bientôt la surprise de voir gambader un chevreuil ne sera peut être plus la même. Il n'y a qu'une seule première fois, à moi d'être là pour ne pas louper la petite étincelle qui éclairera leurs yeux. Je n'ai pas la prétention de leurs apprendre quoi que ce soit. Je ne possède aucune richesse matérielle, rien de valeur qui ne pourra leur être transmis. Je leur transmets une passion, celle de la nature. Je leur fabrique des souvenirs et les protège de tout mon amour. Ce sera leur seul héritage.
On associe souvent belles photos et talents. Je suis profondément convaincu que le talent n'est que la dernière roue du carrosse… et encore … Tant de critères entrent en ligne de compte dans la réussite d'une photo qu'une fois tous ces paramètres croisés, il ne reste plus guère de place au talent. Le principal étant d'être là, au bon moment et au bon endroit. Une croix dans la case "motivation". La connaissance de son matériel, maîtrise des règles de bases tel que le triangle d'exposition. On peut ajouter une croix dans la case "technique". La performance de son matériel m'oblige à cocher la case "budget". Je pourrais continuer ainsi pendant longtemps sans trouver où cocher la case "talent". Savoir trouver le bon cadrage, le bon angle nécessite tout juste d'avoir un minimum de sensibilité artistique tout au plus.
Jacques Brel disait : "le travail, l'abnégation, la passion, la transpiration oui. Le talent n'existe pas !
Ce dimanche là, en plus de mon Nikon, j'ai fait en sorte de cocher un maximum de croix.
Les lunettes recouvertes d'embrun et la goutte au nez, mes deux pitchouns m'indiquent qu'ils en ont marre.
Le crabe ? Peuchère, il semble que le fromage et la pomme n'étaient pas à son goût.
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